Annie Maurer. 1995 et la création de l’association des éditions Bérénice ; un collectif, comme l’on disait à l’époque quand la politique a commencé sa lente et inexorable agonie. Une assoc. Loi 1901 avec la volonté de refonder l’art sous toutes ses formes, mais surtout par l’écrit, la langue. Annie peint. On la sollicite pour illustrer des premières de couvertures de romans, de livres de nouvelles collectives, de livres de poésie. Annie peint et donne. Des œuvres tranchées, tranchantes. Qui ne laissent jamais indifférents. Etonnamment violentes. Je n’oublie pas que j’ai dû imposer à l’amicale confrérie des apprentis poètes et romanciers que nous étions le tableau pour la sortie du livre de nouvelle L’Air du temps. Personne n’en voulait de ce buste humain écorché, dont on pouvait aisément deviner l’âme. Je l’ai imposé démocratiquement.
Peu d’émotions dans le regard ou l’expression d’Annie. Elle tenait en son cœur et le secret de ses pensées et le mystère de ses émotions, portant on ne savait quelle histoire personnelle. Les questions furent rares il est vrai ; elle ne s’est que peu épanchée sur ce qu’elle fut. Pudeur.
Annie a peint, donnant des images toujours en adéquation avec le corps du texte soutenu. Dans cette alliance des contraires est souvent né l’exceptionnel de la beauté. Annie a dessiné le livre Chaman, écrit à trois voix avec Thierry Renard et Bernard Giusti. Des coups de griffes minérales pour dire le vol lent et noir des oiseaux de surface qui ne jurent que devant le corps décharné des arbres. Pas d’hommes mais la nature dans son aspect le plus simple, le plus fort.
Annie et le portrait inoubliable coloré, plein de vie, éblouissant de Maximilien Robespierre dans l‘essai de Thierry Renard. Ses couleurs ont rendu la grande histoire au présent, après que le bicentenaire ait oblitéré le fin mot de l’histoire, pour la réécrire finalement à l’aune de la médiocrité et de la trahison pour aboutir à sa négation.
Annie cherche, les techniques, le numérique, les objets et les tissus, les utilisant pour mieux répondre à l’injustice de son corps qui ne répond plus à la demande de son bras qui peint.
Annie qui devient Roxane à la surprise du plus grand nombre, quand elle s’avoue exhiber les beautés du corps et du sexe. Annie qui cherche toujours la voie de son art. Toujours présente, d’une présence souterraine, rassurante, qui écoute et ne juge jamais. Ce doit être la seule personne rencontrée en 50 années qui n’ait jamais dit de mal sur un autre être humain, ne colportant jamais rumeurs, rancunes. Ce qu’un être blessé porte, nul ne le sait. On l’a deviné peut-être après.
Je n’ai pu voir Annie avant. Un contretemps, une hospitalisation soudaine qui a annulé l’ultime rendez-vous. Je n’ai pas voulu la voir pendant. Ne pouvant tolérer ne plus avoir à l’esprit son visage rond et blond, ses yeux de candeur infinie et son timbre de voix précis, posé, calme.
Etre à part. Pour s’appartenir parfois.
Annie a élaboré un triptyque m’offrant ainsi mon portrait. Les trois exemplaires sont répartis : un chez mes parents, l’autre dans la chambre de mes filles. Le troisième se balade dans mon appartement ; il se cache. Un en couleurs, l’autre en noir et blanc ; le troisième sombre esquisse. Le premier illustre mon blog et me sert souvent de référence quand on me demande une photographie. Je trouve que c’est le meilleur moyen d’illustrer mon réel et de lutter contre le temps qui ne passe plus aussi bien que je le voudrais.
Et puis son portrait de Maïakovski, qu’elle m’offrit pour mes 40 ans et qui me surveille au-dessus de mon bureau, d’une terrible immanence. Un portrait de face, simple, gris et noir sur fond rouge. Aucune violence, un portrait apaisé.
Le temps efface le temps.
En peignant, en écrivant ; Annie a illustré les poètes, exercice difficile et ingrat s’il en est ! Crever la route, co-écrit avec Thierry Renard démontre son aptitude à s’emparer des mots et de les transformer tel un métal fondu dans l’empreinte du corps des mots. Pour soulever le gisant des textes et les élever au-delà...
Annie/Roxane Maurer s’en est allée et on n’en revient toujours pas, se posant la question de ce que sont devenues ces presque 20 années passées qui ne reviendront jamais. Mais nous avons vécu, créé, ri et bu ; beaucoup trop diront certains, je laisse l’ordre de bienséance aux procureurs et aux censeurs.
1995-2014. Qui sommes-nous donc devenus ? Mais on pourra dire que nous avons aimé, vécu, activement participé à nos créations artistiques communes. Car nous avons travaillé dans l’harmonie du commun qui manque terriblement, laissant pour la plus grande majorité l’égoïsme des ego castrateurs.
Annie s’en est allée dans sa paix et sa sérénité. Elle fut courageuse et a porté jusqu’au bout ses terribles espoirs. Souvent, seules les femmes ont cette force et ce courage.
Pour ce qui la concerne, Annie Maurer :
il n’est plus temps que nous nous taisions :
elle revivra tantôt
par ses dessins aquarelles et tableaux
elle réapparaîtra dans sa lumière
portant les couleurs du bas et du haut
le cœur des couleurs dans leur réponse
au vide éploré de la toile dans la rigueur du beau
car c’est ainsi que naît du pinceau l’unique lumière du monde
Jean-Michel Platier ; le 23 septembre 2014