Une contrainte, celle de réaliser une photo quotidiennement à 12H15. S’ouvre alors un champ de possibles et de questionnements...
Deux artistes Roxane MAURER et Lydia BELOSTYK dialoguent sur internet, envoient la photo du jour. Elles y joignent commentaires, citations, poèmes...
Les artistes mettent en scène le même référent, réveil, montre, horloge... dans leur environnement quotidien.
Lydia Belostyk est une citadine, Roxane Maurer vit à la campagne. Chacune définit son espace, joue le vrai, le faux, le hasard, le paradoxe. Chacune photographie durant une année son univers proche, ses trajets quotidiens, ses lieux de vie...
Ainsi, au fil des jours se déploie une perspective temporelle, des trajectoires géographiques mais aussi sociales.
Les images se collent les unes aux autres, dans une scansion, dans un souffle, dans un silence.
Une langue s’élabore et se structure. Deux histoires s’inscrivent.
Tout se construit dans l’échange, échos de formes, de couleurs, de thèmes, de sensations. L’inconnu se révèle dans l’élément le plus banal, l’infini dans le réel immédiat.
Une réflexion poétique du monde se constitue, sensible à la résonance, à la part d’ombre, à cette part d’indicible que nous sentons vivre en nous.
Trajectoires croisées
Leur projet s’est construit progressivement dans un questionnement portant sur le rapport image-poésie.
La poésie est, semble-t-il, de tous les arts celui qui se nourrit le plus de l’image. Car le poète pense et « se pense » en images.
Aragon ne définit-il pas le Surréalisme par la fonction de l’image qui, à chaque coup nous force à réviser tout l’univers ?
Heidegger considère, quant à lui, toute pensée comme passant nécessairement par la représentation.
Ce débat situe l’enjeu poétique au-dessus de la recherche d’une simple problématique esthétique.
L’idée de réaliser une correspondance visuelle et poétique sur internet est apparue rapidement comme une voie intéressante, une façon de traverser des mondes et surtout, une manière de pénétrer la réalité pour aller vers ce quelque chose qui les dépasse.
Leur dialogue créateur les a entraîné à la fois dans des trajectoires croisées et individuelles.
La poésie multiplie les chemins écrit Andrée Chédid.
« Rien, en Poésie, ne s’achève. Tout est en route, à jamais. Ne sommes-nous pas, en premier lieu, des créatures éminemment poétiques ? Venues on ne sait d’où, tendues vers quelle extrémité ? Pétries par le mystère d’un insaisissable destin ? Situées sur un parcours qui ne cesse de déboucher sur l’imaginaire ? Animées d’une existence qui nous maintient - comme l’arbre - entre terre et ciel, entre racines et créations, mémoires et fictions ? La Poésie demeurera éternellement présente, à l’écoute de l’incommensurable Vie. »
Les ponts ainsi créés entre la poésie et la photographie ont engendré une réflexion sur les conditions d’apparition d’une œuvre photographique.
Lydia Belostyk photographie son univers domestique, ses trajets quotidiens, à la manière d’un chant intérieur. Pour elle, 12h15 est un temps arrêté.
La forme que prennent ses photos génère une sorte de nouvelle imagerie spatiale où les images se succèdent telles des miroirs. L’espace photographié montre une réalité concrète mais changeante, tout en écho.
Comme si cet espace avait le pouvoir de nous amener du singulier au pluriel, de l’instant vers la durée.
Nous sommes pris dans des contingences et des facettes, au fond de nous il y a un grand fleuve qui coule qui représente cette durée, cette unité que nous ressentons et cherchons profondément, écrit Andrée Chédid.
Roxane Maurer, quant à elle, exprime tout autre chose. C’est le corps à l’œuvre qui décide de tout. Elle dialogue avec les sensations. Le sens apparaît à partir du rythme.
Ses montages photographiques naissent d’une relation conflictuelle entre plusieurs images-fragments dans un rapport d’analogie constant. Le rêve est un état de réconciliation des contraires, écrivait Freud.
Cette tension produite par la technique du montage a transformé notre réalité ordinaire en rêve du quotidien.
L’image est une création pure de l’esprit. Elle ne peut naître d’une comparaison, mais du rapprochement de deux réalités plus ou moins éloignées. Plus les rapports de deux réalités rapprochées seront lointaines et justes, plus l’image sera forte... Difficile de faire l’économie de cette définition de Pierre Reverdy, l’un des fondateurs de la poésie moderne.
Les notions évoquées deviennent un objectif idéal à atteindre pour celui qui tend à porter un regard singulier sur un monde en profonde mutation.
Aussi, paradoxalement, partir de notre quotidien le plus proche comme elles l’ont fait, leur a permis d’atteindre quelque chose de plus intérieur, de plus profond.
Nous rêvons tout le temps.
Rêver comme en poésie, c’est avoir toutes les résonances, (Andrée Chédid).
Les êtres ne sont-ils pas faits de réalité et de rêve ?